L’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) en Tunisie, créée en 2011 pour organiser le scrutin de l’Assemblée Constituante, est depuis le début de la transition démocratique tunisienne la responsable exclusive de l’organisation et de la supervision des élections et scrutins. Depuis le putsch du 25 juillet 2021, l’Instance semble néanmoins avoir dévié de sa mission initiale pour s’octroyer une autre autrement plus politique : travailler en tandem avec l’État pour enrayer toute voix critique à l’encontre d’un scrutin présidentiel pour le moins mouvementé. Décryptage.
Des Candidatures À Haut Risque
Un scrutin présidentiel est souvent synonyme d’agitation politique mais les élections présidentielles prévues pour le 6 octobre en Tunisie ont été particulièrement risquées pour les dix-sept candidats qui se sont essayés à l’exercice. En tout, les autorités tunisiennes ont poursuivi en justice, condamné et/ou emprisonné au moins huit candidats potentiels à l’élection présidentielle. L’ISIE en a disqualifié quatorze, ne retenant que trois candidats, dont un vient d’être condamné à un an et huit mois de prison, malgré une décision défavorable du tribunal administratif ayant réhabilité les candidatures de trois autres aspirants.
Le rôle de la commission électorale dans la poursuite d’opposants et de voix critiques est à souligner. La mise en scelle du processus des élections présidentielles semble l‘avoir poussé à clarifier sa position subalterne par rapport au pouvoir en place.
Le 5 août 2024, la cheffe du Parti destourien libre (PDL) est condamnée à deux ans de prison en vertu du hautement controversé décret-loi 54 suite à une plainte déposée par l’ISIE pour avoir remis en cause la légitimité du processus des législatives. En février, l’Instance avait fait condamner l’opposant politique Jawher Ben Mbarek, déjà incarcéré dans l’affaire dite de complot contre la sûreté de l’État, à six mois de prison ferme pour avoir qualifié les élections de 2022 de « coup d’État ridicule ». Rappelons que les membres de l’Instance sont directement nommés par le président de la république depuis 2022.
Les Médias Et Journalistes Critiques Dans Le Viseur
Dire que, depuis le changement de régime, être journaliste critique du pouvoir est devenu de plus en plus compliqué n’est une nouvelle de personne. Plusieurs sont actuellement en train de purger de lourdes peines de prison pour essentiellement des délits d’opinion. Ce climat de répression et d’autocensure est également nourrit par la position de l’ISIE quant à la couverture médiatique des processus électoraux. Ainsi, l’Instance s’est attaquée à des journalistes et médias ayant critiqué certains aspects de sa gestion des élections. Depuis juillet, elle a notifié quatre stations de radio privées d’avertissements écrits au sujet de commentaires émis dans le cadre de leur couverture du processus électoral (Express FM, Mosaïque FM, Jawhara FM et Diwan FM). Mosaïque FM a par exemple reçu deux avertissements les 16 et 31 juillets pour ce que l’Instance considère comme « une intention de nuire et de se moquer de l’instance et du processus électoral » des commentaires des journalistes Kaouther Zantour et Assya Atrous lors du « Midi Show » du 24 juillet. Le 6 septembre, Express FM a été avertie au sujet de propos ayant remis en question l’indépendance de la commission électorale tenus par l’avocat Imed Ben Halima durant l’émission « Le Grand Express ».
Fin août, l’ISIE est même allée jusqu’à révoquer l’accréditation de la journaliste fondatrice de Tumedia Khaoula Boukrim, estimant qu’elle n’avait pas respecté « son devoir d’assurer une couverture médiatique objective, équilibrée et neutre du processus électoral ». L’Instance a pour cela eu recours à la décision n° 2014-9 du 9 Juin 2014, fixant les conditions et procédures d’admission des observateurs locaux et étrangers pour les élections et référendums, créant un dangereux précédent.
Cet interventionnisme élargi de l’Instance depuis la publication de la décision n° 545 de 2024 le 17 juillet dernier relative à la révision et à l’extension des règles et conditions auxquelles les médias doivent se conformer pendant les campagnes électorales et référendaires est dénoncé par le syndicat des journalistes tunisiens. Mais peu importe les nombreuses manifestations organisées devant ses locaux ainsi que le franc désaveu du tribunal administratif, l’Instance ne semble pas perdre le cap.